Le retour à la maison

Comment rentrer à la maison avec un enfant trachéotomisé suite à une hospitalisation ? Voici des éléments de réponse proposés par Anne, la présidente de l’association Fil d’Air, au cours d’une interview consacrée au site http://www.enfant-different.org/soins-medicaux/la-tracheotomie

Pourquoi est-il important de préparer le retour à la maison ?
La réalisation d’une trachéotomie chez un enfant est toujours, à ma connaissance, suivie d’un séjour en service de réanimation pédiatrique puis éventuellement d’un passage dans un service ORL permettant de faire la transition avec le retour à la maison. Il faut donc s’imaginer passer d’un accompagnement maximal, d’un environnement médicalisé à la solitude de la maison. Cela s’anticipe.
Quel a été votre accompagnement technique ?
Notre retour à la maison a été accompagné par un prestataire de service qui a installé le matériel nécessaire chez nous, en assure l’entretien et l’approvisionnement régulier : de l’oxygène (en cas de besoin), aux systèmes d’aspiration (principaux et portatifs), systèmes médicaux d’humidification, canules, sondes d’aspiration, filtres humidificateurs, colliers, compresses, compresses de trachéotomie. Après avoir essayé diverses formules d’approvisionnement, nous sommes aujourd’hui satisfaits de notre livraison tous les mois qui remplit nos besoins mensuels en consommables que nous sommes parvenus à ajuster avec le temps. A noter que ce matériel est pris en charge par la sécurité sociale. Pour toute diffculté d’ordre financier, il est également recommandé de prendre contact avec les assistantes sociales de l’hôpital. 
Quels aménagements pour le retour à domicile ? Que faut il anticiper ?
Nous avons organisé notre maison en fonction de la trachéotomie de notre fils, mais cela reste bien entendu un exemple, chaque situation étant singulière. Des précautions maximales ont été prises car la trachéotomie a eu lieu le lendemain de sa naissance et nous sommes rentrés à la maison avec un nourrisson de 2 mois trachéotomisé. Les soins et l’attention que nécessitent une trachéotomie pédiatrique évoluent avec le temps : les besoins sont beaucoup plus fréquents et les gestes impressionnants sur un bébé de 2 mois que sur un petit de 2 ans.
Il convient avant tout d’anticiper le risque de décanulation ou de bouchon nécessitant une prise en charge extrêmement rapide. Notre enfant présentant également une trachéomalacie, le changement de canule ne doit pas prendre plus de 3 minutes car il n’est pas en mesure de respirer sans canule « tuteur ».Pour ce faire, nous avons équipé chaque pièce de la maison dans laquelle évolue notre enfant (cuisine, salon, chambres, salle de bain) du matériel suivant :- canule de secours (si l’emballage est trop compliqué à ouvrir, on peut déposer une canule dans une boite plastique même non stérile pour les urgences extrêmes)- collier- paire de ciseaux- serum physiologique- filtres humidificateurs également appelés nez artificielsJ’ai récemment mis, après une décanulation nocturne, tous ces éléments dans un même « panier de secours », afin de ne pas chercher dans l’urgence et dans l’obscurité les ciseaux d’un côté, la canule de l’autre.
Habitant une maison sur plusieurs étages, chaque niveau est équipé d’un « poste de soin », soit une table à langer, à proximité de laquelle se trouve un système d’aspiration portatif (un V7 en ce qui nous concerne). Un tel poste a aussi été installé pour la nuit dans sa chambre. Au niveau de ces postes de soin, se trouve le matériel cité précédemment, ainsi que :- sondes d’aspiration- compresses- compresses de trach (comme Métalline)- canule de taille inférieure à la taille utilisée : il peut arriver qu’il soit très difficile voire impossible d’introduire la canule dans l’orifice en cas de décanulation. Afin de prévenir ce risque, il faut demander à la sortie de l’hôpital, à repartir avec une canule de taille inférieure à la taille de la canule de votre enfant pour mettre en place cette canule plus petite en cas de difficultés.- une petite serviette qui, roulée, sert de « billot » (la sémantique médicale est parfois vraiment mal à propos) : placée sous les épaules de l’enfant, elle sert à dégager le cou (très pratique pour les recanulations, les soins de trach, les aspirations délicates).
Par ailleurs, le grand ennemi de la trach est l’air sec. Car si les sécrétions sèchent dans la canule, qui fait 3 à 4 mm de diamètre pour les tout petits, alors cette dernière se bouche immanquablement. Les pièces de vie doivent être humidifiées en permanence. Nous avons donc investi dans des humidificateurs d’ambiance à grande capacité. Notre fils, jusque ses 12 mois, dormait (siestes et nuit) avec un masque positionné sur la trach relié à un « Airvo ». Depuis, nous avons installé un humidificateur médical girafe pour qu’il soit plus libre de ses mouvements. 
A noter que l’ensemble de ces conseils sont aussi vrais pour.. la voiture ! Du poste de soin, au matériel d’urgence en passant par l’humidificateur branché sur clé USB.

Y-a-t-il des gestes à connaitre ? Les parents doivent ils se former à certains gestes ou soins ?Il n’est pas possible pour la famille de quitter l‘hôpital si les parents ne sont pas formés aux techniques de recanulation (nécessaires en cas de bouchon ou de décanulation), d’aspiration endotrachéales (qui consiste à aspirer, via une sonde et un appareil d’aspiration, les sécrétions que l’enfant ne peut extraire via le nez ou la bouche) et aux «  soins de trach » quotidiens. 
La recanulation est sans doute le geste le plus invasif et le plus impressionnant. Il faut être en capacité d’enlever la canule (en cas de bouchon), de couper le collier et d’introduire une nouvelle canule dans le trachéostome (l’orifice réalisé dans la trachée), puis remettre un collier. La canule étant un tube en silicone mou qui oblige à l’utilisation d’un mandrin à positionner dans la canule avant recanulation… enfin, dans la littérature, car il m’est arrivé de ne pas avoir le temps d’utiliser le mandrin lors de recanulation urgente.
J’ai pu observer que le rythme des aspirations endotrachéales était très variable suivant l’âge de notre enfant. A 2 mois, nous devions faire des aspirations en moyenne toutes les 2 heures, nuit et jour. A 2 ans, il y a 1 à 2 aspirations par nuit, et celles de la journée sont essentiellement concentrées autour des repas et des réveils. Elles s’intensifient néanmoins en cas d’encombrement de la sphère ORL, ds périodes de pollen. C’est pourquoi nous sommes particulièrement attentifs au risque infectieux. Car qui dit davantage de sécrétions, dit davantage de risque de bouchon. Quand les sécrétions sont épaisses ou colorées, il est parfois nécessaire d’instiller quelques gouttes de sérum physiologique pour liquéfier les sécrétions avant aspiration. 
Les «  soins de trach » quotidiens consistent à changer la compresse de trachéotomie et à nettoyer le trachéotosme. L’ORL qui suit notre fils a fortement déconseillé l’usage de sérum physiologique, trop corrosif à cause de la présence de sodium. Nous effectuons ces soins à l’eau (stérile pendant les premiers mois de vie) en règle générale. Si l’orifice est vraiment sale, nous utilisons La Roche-Posay CICAPLAST LAVANT B5 voire un produit vraiment désinfectant sur ordonnance (Amukine). 
Malheureusement, l’ensemble de ces gestes, je les ai appris directement sur mon fils, pendant notre séjour en réanimation, entre son premier jour de vie et ses 2 mois. Les enfants qui rentrent avec une trachéotomie au domicile sont rares (la trach étant censée être une réponse à court terme dans la majorité des situations) et les hôpitaux n’ont pas les moyens ou la volonté d’investir dans des mannequins qui permettraient aux parents d’acquérir ces gestes ailleurs que sur leur propre enfant. De ce douloureux constat est née ma volonté de créer l’association Fil d’Air pour venir en aide aux familles d’enfants trachéotomisés avec comme premier objectif celui d’acheter des mannequins pédiatriques trachéotomisés qui seront livrés à chacun des 16 CHU de référence pour les maladies ORL rares. Ces mannequins seront alors mis à disposition des familles qui en éprouveraient le besoin, pendant leur séjour hospitalier avec la possibilité de l’emporter une semaine à domicile, afin que chaque membre de la famille, proches, puisse s’entrainer aux gestes d’aspiration et de recanulation. A son rythme, sans pression et autant de fois que nécéssaire. 
Si je sais combien il est important de savoir réaliser ces gestes sur son propre enfant, il me paraît fondamental de bénéficier d’une étape intermédiaire de formation sur un mannequin, autorisant un « droit à l’erreur ». D’autant que si la trach est impressionnante en règle générale, elle l’est d’autant plus sur un enfant… et encore davantage sur son propre enfant. L’aspect psychologique de cette formation ne peut pas être occulté.

Donnez-vous des conseils pour l’installation du bébé, jeune enfant (lit, jeux…) ?Nous avons choisi d’installer un lit accompagnant dans la chambre de notre fils et il ne reste jamais seul pour dormir. Cette particularité tient de notre histoire. Les médecins réanimateurs n’ont pas souhaité nous faire rentrer à la maison avec un saturomètre, privilégiant notre capacité à reconnaitre les « signes cliniques ». Pour être plus explicite, le risque, avec la trach, c’est que l’enfant ne puisse plus respirer. Donc, les signes cliniques à surveiller sont un « tirage » excessif (un ventre qui se creuse trop profondément à l’inspire) et … un changement de couleur des lèvres, des marbrures… et ce, 24/24h. Nous avons donc fait des rondes la nuit pour surveiller la respiration de notre entant. Et l’habitude étant prise, c’est toujours le cas aujourd’hui. Nous avons du recanuler notre fils à plusieurs reprises au cours de la nuit, la proximité avec un des 2 parents nous a permis d’être très réactifs. Cependant, je sais que d’autres hôpitaux, beaucoup plus attentifs aux problématiques de retour à la maison, équipent de facto les enfants d’un saturomètre, réglé correctement pour qu’il ne bipe pas à la moindre occasion et ajoute du stress au stress. C’est vraiment une question de bon sens et je ne saurais qu’encourager les parents à en faire la demande en se référant à ce qui est recommandé dans nombre de CHU. Je n’avais pas cette connaissance à l’époque et elle m’aurait été bien utile. Car le sommeil des premiers mois est rendu extrêmement compliqué (encore aujourd’hui) par une vigilance extreme : le fait de pouvoir compter sur le soutien d’une machine n’est pas négligeable.

Conseils pour les soins d’hygiène : bain, change, repas, ….Un autre grand ennemi de la tech : l’eau. La trach étant directement reliée à la trachée et aux poumons, rien ne doit être introduit à l’intérieur… et l’eau aurait tendance à être la plus sournoise. Pour le bain, nous avons fait le choix d’une baignoire thermoformée sur pied, notre entant prenant tous ses bains assis, avec seulement une vingtaine de centimètres d’eau dans la baignoire (jusqu’aux hanches), ce qui ne l’empêche pas d’y passer des heures à s’amuser. Un des parents est naturellement toujours présent et nous faisons souvent une aspiration avant le bain, très souvent aussi une pendant (l’appareil d’aspiration est donc à coté de la baignoire). Nous avons retiré les jeux qui éclaboussent (comme les canards ou autre dinosaure en plastique qui recrachent de l’eau une fois remplis – nous nous sommes faits avoir une fois) et utilisons une éponge pour laver notre enfant, y compris ses cheveux, sans nous approcher de la trach. D’ailleurs, la métalline étant toujours mouillée à l’issue du bain, il faut prévoir de la changer avant d’enfiler un body sec. Les hôpitaux recommandent également le changement de collier mais nous ne le faisons pas en sortie de bain.
Quant à la boisson, nous avons jeté notre dévolu sur une tasse avec une paille recommandée par notre orthophoniste. Non seulement elle évite les débordements mais elle permet de solliciter les muscles de la bouche.
Alors que notre enfant ne supportait pas le nez artificiel pendant les premiers mois de vie car cela lui demandait un trop grand effort notamment à l’inspire. Il fallait donc redoubler de vigilance car l’orifice était « à nu ». S’il faut toujours être très attentif à ce moment de bain et d’alimentation, le nez artificiel apporte une protection supplémentaire. 
Coté habillement, notre fils ne supporte pas ce qui se rapproche trop de la canule, comme les capuches ou les bavoirs. Tous ses vêtements sont ouverts au maximum à l’ encolure : bodies et pyjamas boutonnés sur le devant possibles jusqu’aux 24 mois pour certaines marques ; gilets plutôt que pulls ou pulls très souples, et bien sûr, aucun habit qui obstruerait la canule (type écharpe, cagoule, col roulé).
Pour ce qui est des jeux, nous n’avons aucune limite sauf l’eau, le sable et les espaces poussiéreux. Je ne fais plus non plus de feu dans la cheminée pour deux raisons : assèchement de l’air et particules volatiles. 

Dans la préparation du retour à la maison après une trachéotomie, à quoi peut on penser sur le plan de la relation avec les frères et sœurs ? Cette situation peut elle entrainer un isolement et comment l’éviter  ?
Notre fils a une grande soeur de presque 10 ans son ainée. Elle n’a été autorisée à le voir qu’une seule fois en réanimation mais a pris la mesure, à cette occasion, de la fragilité particulière de son frère. Nous l’avons associée à tous les gestes médicaux lors du retour à la maison. Les enfants ont cela d’extraordinaire : si elle avait parfaitement conscience du handicap, elle n’a jamais cessé de le considérer avant tout comme un frère, de lui faire faire des pirouettes, de le faire rire aux éclats (je vous laisse imaginer quelle maîtrise il nous fallait déployer pour ne pas intervenir à cause du risque de décanulation). Il n’empêche que le petit, qui était très éteint dans sa chambre de réanimation, a commencé à prendre confiance et s’est développé de manière extraordinaire à la maison, a rattrapé en 2 ans toutes les courbes taille/poids et les risques de mauvais développement psychomoteur sont aujourd’hui écartés. Pour la famille néanmoins, et sa soeur en particulier, le temps est long. Il n’est pas évident pour elle, comme pour nous, de considérer que cette trach va faire partie de notre quotidien pour plusieurs années. Je lui réserve des temps exclusifs quotidiens, et pas seulement autour du travail scolaire, afin de profiter de parenthèses d’attention maximales.Ce qui nous fait tous tenir ? Observer les progressions de notre fils, de notre frère : l’entendre rire, chanter, le voir danser, grimper partout, dérouler le papier toilette, sortir tous les livres des étagères, vider les placards, se prendre pour un lion… Au final, nous nous disons que soit la différence est partout, soit il n’y a de différence que celle que l’on nomme.